"Il y a peu, l’artiste m’ écrivit que le terme « installation » n’ était peut-être pas juste ; elle lui substitua celui de « voyages immobiles » et joignit à sa missive une page de ses carnets où se voyait recopié, en lettres rondes et lâches, un fragment des réflexions post-tokyoïtes de Richard Serra (1939), en forme d’injonction : « Vous devez vous abandonner au voyage. Il s’agit surtout de marcher et de regarder. Mais je peux dire à personne comment marcher ni regarder. » Les « voyages immobiles » d’Ève Pietruschi relèvent d’une pareille injonction, à s’extraire de la frénésie contemporaine cette fois-ci (on laissera là le potentiel écart avec Richard Serra).
Avec un peu d’opiniâtreté dans le refus de l’efficacité et de la surproductivité. Ils créent des utopies, au sens spatial et politique, qu’on ne rencontre nulle part mais qui infusent partout, dans les cerveaux de celles et ceux qui rêvent encore un peu. A l’aune de cette dimension utopique, le recours à la maquette et la projection 3D peut se lire comme un prolongement des dessins, des sculptures et des installations. Il ne doit plus, à mon sens, être simplement appréhendé comme la modélisation d’un projet qui s’incarnera pleinement lorsque les conditions matérielles seront réunies. Il existe déjà en tant que « voyage immobile », espace fictionnel dans un plus vaste ensemble d’espaces fictionnels. Il est lui aussi utopique, sans lieu, pour l’heure. Mais bien réel dans les stratégies de résistances sous-jacentes qu’il met en place – je soulignerais notamment le fait de donner à voir, aux lectrices et lecteurs, dès cette phase de projet, l’œuvre dans son déploiement idéal, déréglant subtilement le jeu de l’exposition et les stratégies qui peuvent y être attachées. Il s’agit donc de marcher, de creuser, de rendre compte de l’épaisseur des paysages qui nous habitent et que nous habitons. Il s’agit donc d’un forage sans fin de l’esprit, de voyages immobiles parce que ne suivant plus la flèche du temps mais s’enroulant autour du temps vertical, celui de la physique quantique, celui que l’on qualifie de « temps imaginaire »."
Extrait du texte de Marie Cantos, mars 2017, pour Panoptique III, De la nécessité des ruines et autres réflexions sur le travail d’Ève Pietruschi
Toutes les mises en espace sont réalisées par Julien Eveille depuis 2013