Relevés de paysages
L'exposition personnelle ressemble toujours à un condensé amélioré de réussites et d'échecs passés. En visite dans son atelier de la Trinité, force est de constater l'évolution des différents projets d'Eve Pietruschi, depuis sa sortie de la Villa Arson en 2007. Et d'abord, un vrai désir de travail en atelier...
On se retrouve dans ton atelier de La Trinité au-dessus de Nice, dix ans après avoir passé le baccalauréat ensemble. Quelles sont tes affinités particulières avec cette région ?
J'aime l'espace ici. C'est un vrai luxe d'avoir cet atelier pour bosser. Et puis, par rapport à la nature que je photographie, il y a l'arrière-pays, les carrières, bref un vrai contraste entre paysage naturel et industriel. C'est d'ailleurs la base de mon travail : faire des relevés du paysage, que je réexploite en tant qu'outil pour mon travail graphique.
Que deviennent ces photographies, sortes d'extractions documentaires ?
Je les utilise pour la construction de futurs dessins. Ces photographies sont parfois enfermées pendant longtemps dans des tiroirs... Par la suite, je les réimprime et interviens dessus à l'aide de dissolvants, puis je les scanne et les tire sur un papier photo à gros grains. Le pixel devient alors très pictural. Je tire profit de la lumière, de l'espace ou de la construction que j'ai pu extraire, pour en faire un autre dessin.
Quelle dimension prennent-elles ?
Ces constructions ne peuvent pas être trop grandes car je désire garder une certaine qualité du dessin. Sinon je tomberais dans la peinture, où le pixel deviendrait une trame, un tissage.
Est-ce le cas pour cette série des Sensibles ?
Il s'agit plus d'un retour au fusain, à partir de matériaux bruts liés à une certaine intimité. J'exploite aussi énormément les chutes de différents matériaux. La mise à plat crée un point de vue curieux et la forme, que je place dans le cadre, est comme décollée. Il n'y a pas de perte, car tout est utilisé pour plus tard.
Cette forme fait en effet penser à une porte. Quel rapport y a-t-il entre les fonds au fusain et les structures redéployées ?
Pour tout te dire, je ne vois pas trop de liens. Les fusains sont des fonds balayés, comme des nuées où la matière serait retirée par différents types d'outils comme la ponceuse.
Aucune présence humaine ? Non, l'être humain se trouve déjà dans le geste, derrière le bâtiment et les activités ayant eu lieu. Ce qui m'intéresse, c'est le rapport entre la construction et l'ordre de l'éphémère. Ces paysages industriels reviennent à l'état de nature. Par exemple, j'ai une certaine fascination pour les serres : leurs structures, leurs cassures, les fragments, les jeux de pleins et de vides, les transparences. Toutes ces traces qui se raccrochent forment un paysage.
Le projet Process semble être une tentative de sortir de la surface plane du dessin. Comment envisager la dimension spatiale dans ce projet ?
Les structures de tréteaux vont en effet vers cette troisième dimension. Ce projet n'était pas abouti lors de sa présentation à mon diplôme, parce qu'il manquait une vraie dimension fonctionnelle. Je voulais des tables qui rappellent mes différentes activités : une première pour les projets, une deuxième pour la réalisation et une troisième de repos. J'en ai alors parlé à une amie designer, Camille Lanfranchi, pour la réalisation. Comme j'ai tendance à produire des choses assez brutes, j'ai eu là un autre regard.
Les planches intitulées Plates-formes et présentées à terre font aussi partie d'un projet plus vaste de scénographie.
En effet, ces praticables partent de jeux de lumière, avec les lignes fluos et cette surface peinte en gris parsemée de taches. Il s'agit de plaques tectoniques placées sur différents niveaux que j'ai produites en 2007 et qui vont servir par la suite à des représentations scéniques.
D'où viennent ces rehaussements fluos que l'on peut voir sur les bords ? Principalement des chantiers, des repérages et marquages au sol. On les retrouve dans les dessins, où la couleur éclaire la surface comme une ligne d'horizon. Les plates-formes font d'ailleurs référence là aussi à des nuées.
On peut constater dans tous les cas, une exploitation toujours contradictoire entre des matériaux et des formes opposés.
En effet, avec les papiers pliants que j'ai exposés à Glassbox, plusieurs points de vue sont possibles : un jeu entre les faces grises et fluos, mais aussi entre les silences et les bruits de la lumière, à la manière d'un Proun de El Lissitsky, dont on jouerait la partition. Les différences de matériaux entre le papier et les structures de bois permettent de mener un double usage du dessin. C'est une mise à l'épreuve de la fragilité des supports, notamment les cassures du papier, qui ouvrent quasiment à une dimension de bas relief reconfiguré. Ces dualités se retrouvent énormément dans mon travail.
Damien Delille, décembre 2009
L'exposition personnelle ressemble toujours à un condensé amélioré de réussites et d'échecs passés. En visite dans son atelier de la Trinité, force est de constater l'évolution des différents projets d'Eve Pietruschi, depuis sa sortie de la Villa Arson en 2007. Et d'abord, un vrai désir de travail en atelier...
On se retrouve dans ton atelier de La Trinité au-dessus de Nice, dix ans après avoir passé le baccalauréat ensemble. Quelles sont tes affinités particulières avec cette région ?
J'aime l'espace ici. C'est un vrai luxe d'avoir cet atelier pour bosser. Et puis, par rapport à la nature que je photographie, il y a l'arrière-pays, les carrières, bref un vrai contraste entre paysage naturel et industriel. C'est d'ailleurs la base de mon travail : faire des relevés du paysage, que je réexploite en tant qu'outil pour mon travail graphique.
Que deviennent ces photographies, sortes d'extractions documentaires ?
Je les utilise pour la construction de futurs dessins. Ces photographies sont parfois enfermées pendant longtemps dans des tiroirs... Par la suite, je les réimprime et interviens dessus à l'aide de dissolvants, puis je les scanne et les tire sur un papier photo à gros grains. Le pixel devient alors très pictural. Je tire profit de la lumière, de l'espace ou de la construction que j'ai pu extraire, pour en faire un autre dessin.
Quelle dimension prennent-elles ?
Ces constructions ne peuvent pas être trop grandes car je désire garder une certaine qualité du dessin. Sinon je tomberais dans la peinture, où le pixel deviendrait une trame, un tissage.
Est-ce le cas pour cette série des Sensibles ?
Il s'agit plus d'un retour au fusain, à partir de matériaux bruts liés à une certaine intimité. J'exploite aussi énormément les chutes de différents matériaux. La mise à plat crée un point de vue curieux et la forme, que je place dans le cadre, est comme décollée. Il n'y a pas de perte, car tout est utilisé pour plus tard.
Cette forme fait en effet penser à une porte. Quel rapport y a-t-il entre les fonds au fusain et les structures redéployées ?
Pour tout te dire, je ne vois pas trop de liens. Les fusains sont des fonds balayés, comme des nuées où la matière serait retirée par différents types d'outils comme la ponceuse.
Aucune présence humaine ? Non, l'être humain se trouve déjà dans le geste, derrière le bâtiment et les activités ayant eu lieu. Ce qui m'intéresse, c'est le rapport entre la construction et l'ordre de l'éphémère. Ces paysages industriels reviennent à l'état de nature. Par exemple, j'ai une certaine fascination pour les serres : leurs structures, leurs cassures, les fragments, les jeux de pleins et de vides, les transparences. Toutes ces traces qui se raccrochent forment un paysage.
Le projet Process semble être une tentative de sortir de la surface plane du dessin. Comment envisager la dimension spatiale dans ce projet ?
Les structures de tréteaux vont en effet vers cette troisième dimension. Ce projet n'était pas abouti lors de sa présentation à mon diplôme, parce qu'il manquait une vraie dimension fonctionnelle. Je voulais des tables qui rappellent mes différentes activités : une première pour les projets, une deuxième pour la réalisation et une troisième de repos. J'en ai alors parlé à une amie designer, Camille Lanfranchi, pour la réalisation. Comme j'ai tendance à produire des choses assez brutes, j'ai eu là un autre regard.
Les planches intitulées Plates-formes et présentées à terre font aussi partie d'un projet plus vaste de scénographie.
En effet, ces praticables partent de jeux de lumière, avec les lignes fluos et cette surface peinte en gris parsemée de taches. Il s'agit de plaques tectoniques placées sur différents niveaux que j'ai produites en 2007 et qui vont servir par la suite à des représentations scéniques.
D'où viennent ces rehaussements fluos que l'on peut voir sur les bords ? Principalement des chantiers, des repérages et marquages au sol. On les retrouve dans les dessins, où la couleur éclaire la surface comme une ligne d'horizon. Les plates-formes font d'ailleurs référence là aussi à des nuées.
On peut constater dans tous les cas, une exploitation toujours contradictoire entre des matériaux et des formes opposés.
En effet, avec les papiers pliants que j'ai exposés à Glassbox, plusieurs points de vue sont possibles : un jeu entre les faces grises et fluos, mais aussi entre les silences et les bruits de la lumière, à la manière d'un Proun de El Lissitsky, dont on jouerait la partition. Les différences de matériaux entre le papier et les structures de bois permettent de mener un double usage du dessin. C'est une mise à l'épreuve de la fragilité des supports, notamment les cassures du papier, qui ouvrent quasiment à une dimension de bas relief reconfiguré. Ces dualités se retrouvent énormément dans mon travail.
Damien Delille, décembre 2009