Nom de l’étudiant: Sophie Blet
Nom de l’artiste interviewé: Eve Pietruschi
Lieu de l’entretien:
Café à Nice
Moyens d’enregistrement:
Audio
Durée du rendez-vous :
2h00 dont 45minutes d’entretien
Quand tu es entrée à la Villa Arson, est ce que ton intérêt se portait déjà sur le paysage?
Non, pas vraiment, mais il y avait déjà des choses sous-jacentes de l’ordre de la construction. En fait, je suis tombée sur des photos de mon grand-père – comme il était maçon, il a construit beaucoup d’immeubles, de villas assez contemporaines et des cinémas ( à l’époque, les Gaumont à Marseille ). J’ai retrouvé de superbes photos, avec les Gaumont de l’époque qui m’avaient vraiment enchantées : avant, pendant et après les chantiers.
Et le dessin ?
C’est une pratique qui m’est assez familière. C’est une pratique vraiment directe – il n'y a pas de repentir comme pour la peinture. Pour moi, la peinture c’est laborieux. Ça ne me plaît pas.
Le dessin, c’est fluide et c’est direct. Tu as vraiment la main.
Ton trait est très fin, tu peux aussi le retrouver dans la peinture, mais en effet de façon différente.
Oui, les outils ne sont pas les mêmes, même si j’utilise des pinceaux pour l’aquarelle, même si quelque part j’utilise aussi de la peinture, mais c’est toujours organisé comme un dessin.
Est ce que tu dessines tes paysages sur place?
Non, jamais. Je mémorise. Mais c’est souvent d’après photos.
Maintenant avec le téléphone portable, c’est pratique – je prends des photos, ça ne m'intéresse pas d’avoir une bonne qualité, le plus important c’est d’avoir la construction, l’équilibre des formes et de la lumière.
Ensuite, je travaille en atelier ou d’après les photos.
En fait, elle deviennent des archives. Parfois je les relie, mais parfois je n’en fait rien.
Est ce qu’il t’arrive de travailler d’après imagination ?
Oui, c’est toujours de la construction.
La composition, le dessin, il faut l’interpréter. Il y a des paysages qui n’appartiennent pas à la photo, certains reports qui sont réintroduits dans un paysage qui n’appartient pas à la photographie(ça se répète un peu ). Ce sont des recompositions.Il faut recomposer pour décomposer pour recomposer. Parfois c’est très abstrait, c’est plus de l'ordre d'un mouvement de formes que du figuratif.
Tu me disais que tu t'es tout de suite intéressée aux constructions ? Est ce qu'il s'agit alors de la construction plutôt que du paysage naturel ?
Les deux, parce que c’est la relation entre les deux qui m’intéresse. La nature, l’être humain intervient toujours dans un paysage… Ca n'est jamais complètement naturel, à moins d’aller au pôle nord et très loin.
Mais ce qui m’intéresse c’est vraiment l’intervention de l‘humain sur le paysage. Donc en règle générale les photos que je prends sont vraiment absentes de formes humaines. Ça ne m’intéresse pas de prendre des silhouettes. Je pense que l’architecture, le lieu ou l’activité qui est en mode silencieuse parle déjà d’elle-même. Il y a déjà un fond.
Tu pourrais imaginer prendre des photos sur internet ? De lieux où tu n’as pas été ?
Non, parce qu’il s’agit de les trouver, de les voir à l’échelle.
Ensuite je traduis en dessin. Et la lumière surtout... C’est important.
Par contre, j’ai des amis qui pensent à moi et parfois ils m’envoient des photos.
De la région ?
Oui de la région ou quand ils partent à l’étranger, au Canada par exemple il y a de grosses structures industrielles.
Et est ce que tu as déjà utilisé des photos qui appartiennent à d’autres lieux que la région ?
Oui, à chaque fois que je voyage je prends des photos, en Irlande, en Italie,à New York
A Vérone il y avait un bâtiment qui était abandonné ! A chaque fois que je voyage, je prends des photos.
Et ce sont surtout les lieux industriels qui t’intéressent ? Je me demandais ce que tu penses des constructions de peuples nomades, elles sont en perpétuelle évolution.
Ah oui, j’aime beaucoup mais ça m’intéresse dans un cadre historique ou archéologique mais pas pour mon travail. Quand j’étais étudiante c’était l’époque Bauhaus, surtout les photos de Rodschenko.
Il y en a une dans laquelle la façade est prise d’en bas et le bâtiment surplombe complètement. Il y a une découpe entre la construction et le ciel. Elle est vraiment super belle.
Oui, j’en avais vu quelques-unes dans une exposition à Rome
J’en ai jamais vu en vrai, j’ai toujours vu des reproductions ou des diapos – parce qu’on avait un prof très bien et qui nous a montré beaucoup de diapos. Donc on a eu de bonnes sources. Il y avait aussi le Proun d’El Lissitzky, ça c’est vraiment génial. Là, il y a vraiment le rapport à l’architecture, la mise en espace, et c’est ça qui m’intéresse.
Aussi, en dehors du Bauhaus, il y a Lewis Baltz, c’est un photographe.
C’est vraiment sublime, ce sont des photos très épurées, en noir et blanc.
On est vraiment dans des constructions, mais qu'il ne construit pas puisque ce sont des paysages, il ne modifie pas le sujet.
Chez lui, il s'agit plutôt de parkings, de façades. Il ajuste juste quelques éléments sur la façade, mais ça devient très géométrique. C’est très fin. C’est vraiment un travail d’espace.
Ca me fait penser à tes installations/sculpture. Est ce que tu t’inspire de tes photos aussi, ou est ce que ce sont des formes plus libres?
Ce sont souvent des maquettes.Elles naissent de la manipulation, c’est très instinctif. Ou alors ce sont des sculpture comme la serre qui m’est familière depuis longtemps, que j’avais déjà repérée depuis plus de 10 ans dans le Var. C’était ma première photo, une serre abandonnée envahie par les ronces et les bambous.
Je me suis servie de cette structure, que j’ai nommée le théâtre d’ombres, pour mes dessins,
Et certaines sculptures naissent de découpes. Elles aboutissent en découpant une photo ou un dessin. Ces contre-formes m’ intéressent, avec leurs pleins et vides. Rien ne se jette, tout se transforme.
Est-ce que tu pourrais imaginer une installation directement sur un des lieux que tu découvres?
Pourquoi pas, ça peut être intéressant. Mais certains lieux sont déjà tellement imposants par le passé, c’est une mémoire. Ce sont des couches de mémoire,déroulées,un peu comme un film. L’intervention est peut-être un peu plus délicate, je ne sais pas. Je pense plutôt à une forme de structure ou de sculpture qui interviendrais dans l’espace.
Tu parlais tout à l’heure de la lumière dans tes paysages, est-ce qu’il y a d’autres éléments qui comptent, la sonorité peut être.
Il y a les pleins et vides en fait. Entre la construction et le vide autour, l’espace. C’est comme quand tu apprends à dessiner, il y a un sujet. Si tu ne regardes que le sujet, c’est le sujet qui construit ta forme. La forme n’est pas juste posée sur une feuille blanche. Il y a une ligne, elle est assise, il y a une structure… C’est ça aussi, l’environnement dans lequel se trouve l’architecture. Mais la lumière dans ce type d’architecture est très intéressante, la façon dont elle se reflète, dont elle rentre. Les ombres aussi, les angles – ils ne sont pas forcément dessinés sur le dessin avec l’architecture mais parfois ils sont complètement abstraits.
C’est pour ça que c’est important d’aller sur place.
C’est vrai que la photo représente déjà un point de vue.
Comme il n'y pas l’humain à côté, il n'y a pas l’échelle. Ça peut être gigantesque, tu ne t’en rends pas forcément compte.
Est ce que tu prends parfois aussi des constructions qui sont encore en activité?
Oui, les carrières.Souvent je les prends, parce que en voyage, je n’ai pas forcément l’opportunité de revenir sur le lieu.
Mais les carrières par exemple j’aime bien y aller le week-end quand il n’y a plus d’activité.
Quand je fais des photos, c'est souvent à la volée parce que c’est en voiture. Sauf si je peux m’arrêter, descendre et prendre la photo. Mais je ne suis pas photographe. Je pense un cadrage précis, je ne retouche pas mes photos sur photoshop, je les prends telles quelles. Je les recadre quand je dois les imprimer pour mes reports, pour ne pas avoir trop de pertes autour, pour ne garder que ce qui m’intéresse. Je les prends, je les range dans l’ordinateur, c’est une base de données.
Tu me disais que tu as commencé tes reports assez récemment, enfin il y a quelques années. Avant ça, est ce que les photos étaient déjà un support pour toi?
Oui, mais je n’utilisais pas la photo de cette manière, c’était plus abstrait.
Dans le report, il y a une l’idée de perte dans l’image. C’est quelque chose qui t’intéresse ?
Oui, c’est comme la mémoire, elle flanche. Il y a des choses qui te marquent plus que d’autres, donc parfois il y a des reports qui sont plus noirs que d’autres, donc plus précis…
Ce qui est intéressant c’est qu’on se trouve vraiment entre le dessin et la photographie.
Oui, il y a une certaine matière dans le report et tu peux garder la finesse de trait du dessin.
Oui et c’est une technique qui est vraiment directe. Si ça ne marche pas, tu recommences et tu peux vraiment faire plein d’essais.
C’est un mode de reproduction, ce n’est pas de la sérigraphie, ce n’est pas la gravure, c’est un mode de reproduction, mais qui n’est jamais identique.
Et tout dépend aussi de ton geste aussi
Oui et du support aussi. Il y a des papiers sur lesquels ça bave, d’autres sur lesquels les traits sont moins justes.Le verre, par exemple, est un matériau génial, le matériau est poreux. C’est vivant.
Et il y a comme une vibration, comme dans le dernier que tu avais à l’atelier
Pour la prochaine exposition à la Villa Caméline, j’ai fait un bac à méditer. 1,20 m par 1,60 m – à l’intérieur il y a une vingtaine de reports sur verre qui se chevauchent, comme la mémoire, comme des images, des films. (elle me montre une photo) Les reports se mélangent, se croisent.
C’est vrai que l’on retrouve cette idée d’amassement de bribes
Oui et de voyage
Tu vas l’exposer quand ?
En avril, à la Villa Caméline.
Tu exposes des dessins aussi?
On est plusieurs : deux artistes, une critique d’art (Rebecca François avec qui je travaille pour le projet des auto-stoppeuses) et un danseur. Une danseuse
On a vraiment travaillé sur l’espace de la maison, de la maison abandonnée.
Il y a des photos de la maison en question sur tes reports ?
Non, dans mon travail je ne m' intéresse pas aux maisons, aux lieux privés. Par contre c’est intéressant d’investir une maison abandonnée.
C’est une ancienne maison niçoise, sur deux étages.Tu rentres par le salon qui est assez grand avec une porte-fenêtre entre les deux salles. Il y a une cheminée, une grange (il n’ y a pas de grange : ))), de grands volets et puis il y a 4 chambres à l’étage, deux grandes, une moyenne et une petite et la salle de bain.
Hélène laisse beaucoup de liberté aux artistes. Au départ, c’est surtout une question de rencontre.
Tu as d’autres projets d’exposition?
Non, il y a Paris pour le moment (TO BRING A TEAR TO THE STONE – au 6B) et puis il y a la villa caméline en avril qui représente déjà un gros projet.
C’est déjà pas mal à gérer. Et on verra pour la suite.
Et les autres médiums, est ce qu’il y en a d’autres qui t’intéressent ?
Non,il y a peut être un projet en céramique... il y a cette autre personne que j’ai rencontré.
Il fait de la céramique et il a un four. Il travaille avec des artistes qui n’ont jamais fait de céramique. J’y réfléchis parce que c’est une personne vraiment géniale qui est sur Marseille – peut-être pour l’année prochaine.
Est ce que tu fais de la méditation ?
Pas tout le temps, mais oui.
Comme tu me parlais de la marche...
J’en ai fait beaucoup cet été et je viens de reprendre au dojo à Nice. Il faut travailler la posture et la concentration sur le souffle.
J’ai fait du théâtre avec ce type d’exercices pour la voix, la tenue du corps. Mais j’aime bien être allongée en fait parce que je suis debout toute la journée. Ca me permet de reposer mon corps.
Tu as l’impression que ça t’apporte quelque chose dans ta pratique, dans tes dessins ?
J’ai retenu du théâtre une phrase de Diderot au sujet du paradoxe du comédien : ne pas être trop dans l’émotion, ni trop dans le conceptuel. Trop dans l’émotion, c’est trop lyrique, trop tragique, et trop dans le conceptuel, tu es coupé de toute sensibilité. Il faut trouver l’équilibre entre les deux. Et dans le dessin, il faut toujours trouver cet équilibre. Et je ne dessine jamais quand je suis énervée. Quand je suis fatiguée je ne dessine jamais, je ne prends pas de crayon.Je vais faire du pliage, du rangement, je vais poncer. Enfin, je ne vais pas faire quelque chose qui demande un geste précis. C’est pour ça que je suis mieux maintenant à travailler seule en atelier qu’avant.
Qu’en école ?
Oui parce que je suis solitaire donc j’aime bien être au calme et ne pas être perturbée par les autres et leurs interventions.
Je me demandais si ça t'arrive souvent de te planter?
Non, pas trop…Il y en a –pour lesquels j’essaie de ne pas trop m’acharner.Parce que après ça m’énerve.Comme le grand jaune que tu as vu.Je n’arrivais pas à être satisfaite mais maintenant j’ai trouvé la solution.
Tu l’as amené à la lumière ?
Non je l’ai pas amené à la lumière, mais il y avait un bug dans la composition et je me suis demandée pourquoi je ne le découperais pas – en laissant un espace entre les deux morceaux. Ca re-dynamise le dessin, il fallait juste que je sois patiente.
Ça fait 3 mois que je suis dessus. Je ne dessine pas tous les jours sur celui là pour laisser reposer les choses et j’y reviens. Parfois il y a des dessins qui te tiennent tête comme ça. Alors ou tu laisses tomber ou tu essaies de trouver une solution qui soit juste par rapport au dessin.
Et parfois c’est trop tard.C’est trop chargé.
Et tu les jettes ou est ce que tu les stoques ?
Non je jette. Ou je garde certaines zones qui m’ intéressent.
Parfois il y en a qui sont inachevés, que je garde de côté.
Est ce que tu produit beaucoup dans l'année même en prenant ce temps là?
Oui, pas tous les jours mais pas mal quand même. Déjà j’ai pas mal de formats différents. Ça me permet de faire des choses différentes, c‘est plus dynamique. Pour les grands formats en général je prépare des croquis pas trop précis. Les grands formats demandent plus de temps. Après, il y a le temps de l’accrochage et de l'encadrement. Comme je les fais moi-même j’y pense en amont pendant que je fais le dessin. Je fais des essais je pense à la composition. Là j’ai 3 grands projets.Je vais avoir le grand jaune à encadrer.
Au sujet de tes pliages : il y en a en papier et d’autres en aluminium ?
Oui le pliage en aluminium est beaucoup plus pérenne.
J’en ai vu encore quelque uns chez Maud Barral
Oui, là il s’agissait d’un travail de pliage dans l’espace même du cadre.
Mais le papier s’abîme.
L’aluminium c’est une bonne solution pour le temps pour la tenue et la lumière surtout, l’aluminium reflète tout l’espace environnant.
Nom de l’artiste interviewé: Eve Pietruschi
Lieu de l’entretien:
Café à Nice
Moyens d’enregistrement:
Audio
Durée du rendez-vous :
2h00 dont 45minutes d’entretien
Quand tu es entrée à la Villa Arson, est ce que ton intérêt se portait déjà sur le paysage?
Non, pas vraiment, mais il y avait déjà des choses sous-jacentes de l’ordre de la construction. En fait, je suis tombée sur des photos de mon grand-père – comme il était maçon, il a construit beaucoup d’immeubles, de villas assez contemporaines et des cinémas ( à l’époque, les Gaumont à Marseille ). J’ai retrouvé de superbes photos, avec les Gaumont de l’époque qui m’avaient vraiment enchantées : avant, pendant et après les chantiers.
Et le dessin ?
C’est une pratique qui m’est assez familière. C’est une pratique vraiment directe – il n'y a pas de repentir comme pour la peinture. Pour moi, la peinture c’est laborieux. Ça ne me plaît pas.
Le dessin, c’est fluide et c’est direct. Tu as vraiment la main.
Ton trait est très fin, tu peux aussi le retrouver dans la peinture, mais en effet de façon différente.
Oui, les outils ne sont pas les mêmes, même si j’utilise des pinceaux pour l’aquarelle, même si quelque part j’utilise aussi de la peinture, mais c’est toujours organisé comme un dessin.
Est ce que tu dessines tes paysages sur place?
Non, jamais. Je mémorise. Mais c’est souvent d’après photos.
Maintenant avec le téléphone portable, c’est pratique – je prends des photos, ça ne m'intéresse pas d’avoir une bonne qualité, le plus important c’est d’avoir la construction, l’équilibre des formes et de la lumière.
Ensuite, je travaille en atelier ou d’après les photos.
En fait, elle deviennent des archives. Parfois je les relie, mais parfois je n’en fait rien.
Est ce qu’il t’arrive de travailler d’après imagination ?
Oui, c’est toujours de la construction.
La composition, le dessin, il faut l’interpréter. Il y a des paysages qui n’appartiennent pas à la photo, certains reports qui sont réintroduits dans un paysage qui n’appartient pas à la photographie(ça se répète un peu ). Ce sont des recompositions.Il faut recomposer pour décomposer pour recomposer. Parfois c’est très abstrait, c’est plus de l'ordre d'un mouvement de formes que du figuratif.
Tu me disais que tu t'es tout de suite intéressée aux constructions ? Est ce qu'il s'agit alors de la construction plutôt que du paysage naturel ?
Les deux, parce que c’est la relation entre les deux qui m’intéresse. La nature, l’être humain intervient toujours dans un paysage… Ca n'est jamais complètement naturel, à moins d’aller au pôle nord et très loin.
Mais ce qui m’intéresse c’est vraiment l’intervention de l‘humain sur le paysage. Donc en règle générale les photos que je prends sont vraiment absentes de formes humaines. Ça ne m’intéresse pas de prendre des silhouettes. Je pense que l’architecture, le lieu ou l’activité qui est en mode silencieuse parle déjà d’elle-même. Il y a déjà un fond.
Tu pourrais imaginer prendre des photos sur internet ? De lieux où tu n’as pas été ?
Non, parce qu’il s’agit de les trouver, de les voir à l’échelle.
Ensuite je traduis en dessin. Et la lumière surtout... C’est important.
Par contre, j’ai des amis qui pensent à moi et parfois ils m’envoient des photos.
De la région ?
Oui de la région ou quand ils partent à l’étranger, au Canada par exemple il y a de grosses structures industrielles.
Et est ce que tu as déjà utilisé des photos qui appartiennent à d’autres lieux que la région ?
Oui, à chaque fois que je voyage je prends des photos, en Irlande, en Italie,à New York
A Vérone il y avait un bâtiment qui était abandonné ! A chaque fois que je voyage, je prends des photos.
Et ce sont surtout les lieux industriels qui t’intéressent ? Je me demandais ce que tu penses des constructions de peuples nomades, elles sont en perpétuelle évolution.
Ah oui, j’aime beaucoup mais ça m’intéresse dans un cadre historique ou archéologique mais pas pour mon travail. Quand j’étais étudiante c’était l’époque Bauhaus, surtout les photos de Rodschenko.
Il y en a une dans laquelle la façade est prise d’en bas et le bâtiment surplombe complètement. Il y a une découpe entre la construction et le ciel. Elle est vraiment super belle.
Oui, j’en avais vu quelques-unes dans une exposition à Rome
J’en ai jamais vu en vrai, j’ai toujours vu des reproductions ou des diapos – parce qu’on avait un prof très bien et qui nous a montré beaucoup de diapos. Donc on a eu de bonnes sources. Il y avait aussi le Proun d’El Lissitzky, ça c’est vraiment génial. Là, il y a vraiment le rapport à l’architecture, la mise en espace, et c’est ça qui m’intéresse.
Aussi, en dehors du Bauhaus, il y a Lewis Baltz, c’est un photographe.
C’est vraiment sublime, ce sont des photos très épurées, en noir et blanc.
On est vraiment dans des constructions, mais qu'il ne construit pas puisque ce sont des paysages, il ne modifie pas le sujet.
Chez lui, il s'agit plutôt de parkings, de façades. Il ajuste juste quelques éléments sur la façade, mais ça devient très géométrique. C’est très fin. C’est vraiment un travail d’espace.
Ca me fait penser à tes installations/sculpture. Est ce que tu t’inspire de tes photos aussi, ou est ce que ce sont des formes plus libres?
Ce sont souvent des maquettes.Elles naissent de la manipulation, c’est très instinctif. Ou alors ce sont des sculpture comme la serre qui m’est familière depuis longtemps, que j’avais déjà repérée depuis plus de 10 ans dans le Var. C’était ma première photo, une serre abandonnée envahie par les ronces et les bambous.
Je me suis servie de cette structure, que j’ai nommée le théâtre d’ombres, pour mes dessins,
Et certaines sculptures naissent de découpes. Elles aboutissent en découpant une photo ou un dessin. Ces contre-formes m’ intéressent, avec leurs pleins et vides. Rien ne se jette, tout se transforme.
Est-ce que tu pourrais imaginer une installation directement sur un des lieux que tu découvres?
Pourquoi pas, ça peut être intéressant. Mais certains lieux sont déjà tellement imposants par le passé, c’est une mémoire. Ce sont des couches de mémoire,déroulées,un peu comme un film. L’intervention est peut-être un peu plus délicate, je ne sais pas. Je pense plutôt à une forme de structure ou de sculpture qui interviendrais dans l’espace.
Tu parlais tout à l’heure de la lumière dans tes paysages, est-ce qu’il y a d’autres éléments qui comptent, la sonorité peut être.
Il y a les pleins et vides en fait. Entre la construction et le vide autour, l’espace. C’est comme quand tu apprends à dessiner, il y a un sujet. Si tu ne regardes que le sujet, c’est le sujet qui construit ta forme. La forme n’est pas juste posée sur une feuille blanche. Il y a une ligne, elle est assise, il y a une structure… C’est ça aussi, l’environnement dans lequel se trouve l’architecture. Mais la lumière dans ce type d’architecture est très intéressante, la façon dont elle se reflète, dont elle rentre. Les ombres aussi, les angles – ils ne sont pas forcément dessinés sur le dessin avec l’architecture mais parfois ils sont complètement abstraits.
C’est pour ça que c’est important d’aller sur place.
C’est vrai que la photo représente déjà un point de vue.
Comme il n'y pas l’humain à côté, il n'y a pas l’échelle. Ça peut être gigantesque, tu ne t’en rends pas forcément compte.
Est ce que tu prends parfois aussi des constructions qui sont encore en activité?
Oui, les carrières.Souvent je les prends, parce que en voyage, je n’ai pas forcément l’opportunité de revenir sur le lieu.
Mais les carrières par exemple j’aime bien y aller le week-end quand il n’y a plus d’activité.
Quand je fais des photos, c'est souvent à la volée parce que c’est en voiture. Sauf si je peux m’arrêter, descendre et prendre la photo. Mais je ne suis pas photographe. Je pense un cadrage précis, je ne retouche pas mes photos sur photoshop, je les prends telles quelles. Je les recadre quand je dois les imprimer pour mes reports, pour ne pas avoir trop de pertes autour, pour ne garder que ce qui m’intéresse. Je les prends, je les range dans l’ordinateur, c’est une base de données.
Tu me disais que tu as commencé tes reports assez récemment, enfin il y a quelques années. Avant ça, est ce que les photos étaient déjà un support pour toi?
Oui, mais je n’utilisais pas la photo de cette manière, c’était plus abstrait.
Dans le report, il y a une l’idée de perte dans l’image. C’est quelque chose qui t’intéresse ?
Oui, c’est comme la mémoire, elle flanche. Il y a des choses qui te marquent plus que d’autres, donc parfois il y a des reports qui sont plus noirs que d’autres, donc plus précis…
Ce qui est intéressant c’est qu’on se trouve vraiment entre le dessin et la photographie.
Oui, il y a une certaine matière dans le report et tu peux garder la finesse de trait du dessin.
Oui et c’est une technique qui est vraiment directe. Si ça ne marche pas, tu recommences et tu peux vraiment faire plein d’essais.
C’est un mode de reproduction, ce n’est pas de la sérigraphie, ce n’est pas la gravure, c’est un mode de reproduction, mais qui n’est jamais identique.
Et tout dépend aussi de ton geste aussi
Oui et du support aussi. Il y a des papiers sur lesquels ça bave, d’autres sur lesquels les traits sont moins justes.Le verre, par exemple, est un matériau génial, le matériau est poreux. C’est vivant.
Et il y a comme une vibration, comme dans le dernier que tu avais à l’atelier
Pour la prochaine exposition à la Villa Caméline, j’ai fait un bac à méditer. 1,20 m par 1,60 m – à l’intérieur il y a une vingtaine de reports sur verre qui se chevauchent, comme la mémoire, comme des images, des films. (elle me montre une photo) Les reports se mélangent, se croisent.
C’est vrai que l’on retrouve cette idée d’amassement de bribes
Oui et de voyage
Tu vas l’exposer quand ?
En avril, à la Villa Caméline.
Tu exposes des dessins aussi?
On est plusieurs : deux artistes, une critique d’art (Rebecca François avec qui je travaille pour le projet des auto-stoppeuses) et un danseur. Une danseuse
On a vraiment travaillé sur l’espace de la maison, de la maison abandonnée.
Il y a des photos de la maison en question sur tes reports ?
Non, dans mon travail je ne m' intéresse pas aux maisons, aux lieux privés. Par contre c’est intéressant d’investir une maison abandonnée.
C’est une ancienne maison niçoise, sur deux étages.Tu rentres par le salon qui est assez grand avec une porte-fenêtre entre les deux salles. Il y a une cheminée, une grange (il n’ y a pas de grange : ))), de grands volets et puis il y a 4 chambres à l’étage, deux grandes, une moyenne et une petite et la salle de bain.
Hélène laisse beaucoup de liberté aux artistes. Au départ, c’est surtout une question de rencontre.
Tu as d’autres projets d’exposition?
Non, il y a Paris pour le moment (TO BRING A TEAR TO THE STONE – au 6B) et puis il y a la villa caméline en avril qui représente déjà un gros projet.
C’est déjà pas mal à gérer. Et on verra pour la suite.
Et les autres médiums, est ce qu’il y en a d’autres qui t’intéressent ?
Non,il y a peut être un projet en céramique... il y a cette autre personne que j’ai rencontré.
Il fait de la céramique et il a un four. Il travaille avec des artistes qui n’ont jamais fait de céramique. J’y réfléchis parce que c’est une personne vraiment géniale qui est sur Marseille – peut-être pour l’année prochaine.
Est ce que tu fais de la méditation ?
Pas tout le temps, mais oui.
Comme tu me parlais de la marche...
J’en ai fait beaucoup cet été et je viens de reprendre au dojo à Nice. Il faut travailler la posture et la concentration sur le souffle.
J’ai fait du théâtre avec ce type d’exercices pour la voix, la tenue du corps. Mais j’aime bien être allongée en fait parce que je suis debout toute la journée. Ca me permet de reposer mon corps.
Tu as l’impression que ça t’apporte quelque chose dans ta pratique, dans tes dessins ?
J’ai retenu du théâtre une phrase de Diderot au sujet du paradoxe du comédien : ne pas être trop dans l’émotion, ni trop dans le conceptuel. Trop dans l’émotion, c’est trop lyrique, trop tragique, et trop dans le conceptuel, tu es coupé de toute sensibilité. Il faut trouver l’équilibre entre les deux. Et dans le dessin, il faut toujours trouver cet équilibre. Et je ne dessine jamais quand je suis énervée. Quand je suis fatiguée je ne dessine jamais, je ne prends pas de crayon.Je vais faire du pliage, du rangement, je vais poncer. Enfin, je ne vais pas faire quelque chose qui demande un geste précis. C’est pour ça que je suis mieux maintenant à travailler seule en atelier qu’avant.
Qu’en école ?
Oui parce que je suis solitaire donc j’aime bien être au calme et ne pas être perturbée par les autres et leurs interventions.
Je me demandais si ça t'arrive souvent de te planter?
Non, pas trop…Il y en a –pour lesquels j’essaie de ne pas trop m’acharner.Parce que après ça m’énerve.Comme le grand jaune que tu as vu.Je n’arrivais pas à être satisfaite mais maintenant j’ai trouvé la solution.
Tu l’as amené à la lumière ?
Non je l’ai pas amené à la lumière, mais il y avait un bug dans la composition et je me suis demandée pourquoi je ne le découperais pas – en laissant un espace entre les deux morceaux. Ca re-dynamise le dessin, il fallait juste que je sois patiente.
Ça fait 3 mois que je suis dessus. Je ne dessine pas tous les jours sur celui là pour laisser reposer les choses et j’y reviens. Parfois il y a des dessins qui te tiennent tête comme ça. Alors ou tu laisses tomber ou tu essaies de trouver une solution qui soit juste par rapport au dessin.
Et parfois c’est trop tard.C’est trop chargé.
Et tu les jettes ou est ce que tu les stoques ?
Non je jette. Ou je garde certaines zones qui m’ intéressent.
Parfois il y en a qui sont inachevés, que je garde de côté.
Est ce que tu produit beaucoup dans l'année même en prenant ce temps là?
Oui, pas tous les jours mais pas mal quand même. Déjà j’ai pas mal de formats différents. Ça me permet de faire des choses différentes, c‘est plus dynamique. Pour les grands formats en général je prépare des croquis pas trop précis. Les grands formats demandent plus de temps. Après, il y a le temps de l’accrochage et de l'encadrement. Comme je les fais moi-même j’y pense en amont pendant que je fais le dessin. Je fais des essais je pense à la composition. Là j’ai 3 grands projets.Je vais avoir le grand jaune à encadrer.
Au sujet de tes pliages : il y en a en papier et d’autres en aluminium ?
Oui le pliage en aluminium est beaucoup plus pérenne.
J’en ai vu encore quelque uns chez Maud Barral
Oui, là il s’agissait d’un travail de pliage dans l’espace même du cadre.
Mais le papier s’abîme.
L’aluminium c’est une bonne solution pour le temps pour la tenue et la lumière surtout, l’aluminium reflète tout l’espace environnant.